Les gravures rupestres en Cévennes

La richesse de l’échantillon de cette étude in-situ nous a permis d’étayer et d’illustrer certaines des directions d’investigations à suivre pour l’étude des pierres à cupules cévenoles.

Première étude in-situ

Groupe Alésien de Recherche Archéologique – Activités et Travaux 2018

La Montagne du M. est réputée de longue date comme étant riche en gravures rupestres.

Toutefois, en dehors de certains points de la vallée du G., les informations disponibles étaient relativement lacunaires et la partie Ouest du massif apparaissait plutôt vide de sites.

Bien que la zone considérée ici soit assez vaste (5 km d’Est en Ouest et 4 km du Sud au Nord) l’ensemble présenté montre que, par le nombre, la densité et la qualité des sites, il s’agit de l’un des principaux lieux de concentration des cupules en Cévennes schisteuses dépassant certainement en importance la partie Est, mieux connue ; 208 gravures ont été recensées.

Les cupules se présentent sur les rochers en nombre variable. Elles peuvent être des signes isolés, de toutes tailles. Elles sont fréquemment assemblées par 2 ou par 3 selon des dispositions géométriques particulières en figures simples : couples et triades, qui peuvent apparaître au sein d’assem-blages formant des figures complexes.

On y distingue des rapports de nature géométrique (écart et orientation) ainsi que des liaisons physiques ou symboliques en réseaux organisant la circulation parfois explicite d’un flux.

Certaines figures simples sont aussi des réseaux simplifiés, couple relié en haltère ou cupule à déversoir en sont des exemples clairs et nombreux.

Nous dénombrons: 3 signes cruciformes non associés à des cupules, 5 signes dispersés, 62 signes isolés (cupules ou bassins), 77 figures simples (49 couples, 28 triades), 61 figures complexes (31 géométriques, 30 ruisselantes).

Comme pour d’autres zones déjà étudiées, signes isolés (30,2%), figures simples (37,6%) et figures complexes (29,7%) se répartissent de manière à peu près égale, représentant respectivement environ 1/3 du total des sites. Ces proportions sont un des éléments caractérisant un ensemble de gravures.

L’étude systématique des configurations spatiales formées par les cupules sur les pierres a permis de repérer des constantes, des règles d’agencement, montrant la présence et la définition d’une syntaxe.

Les mesures parmi les plus représentées ici pour la construction des couples, seraient la paume, l’empan, le pied et la coudée, soit l’utilisation des proportions humaines: la méthode est d’utiliser simplement son propre corps pour arpenter les figures qui seraient alors, littéralement, à la mesure de l’homme.

Ces proportions ont pu être combinées entre elles comme l’ont été les mesures antiques, ce qui expliquerait la variabilité de la « grande coudée » (entre 48 et 62 cm).

Ces écartements conventionnels établissent des associations visuelles mettant en relation certaines cupules ; elles seraient à la base de la construction des figures (émission d’un message), et elles en permettent la lecture (réception du message).

Les codes perceptifs communs nécessaires à la communication entre les hommes d’une certaine communauté utiliseraient ici une mathématique sommaire (écarts normalisés) et une géométrie simple (orientation) pour la construction d’un motif symbolique : le couple.

Dans les triades, on peut distinguer des triades en triangle remarquables (isocèles, équilatéraux, rectangles, rectangles isocèles), des triades en ligne, en ligne brisée. Au sein d’une triade, un couple peut être mis en évidence.

Conclusions

La richesse de l’échantillon de ce cas d’école nous a permis d’étayer et d’illustrer certaines des directions d’investigations à suivre pour l’étude des pierres à cupules cévenoles.

Nous avons mis en évidence des constantes de formes, d’orientation, des proportions d’écartements… Toutes ces règles, normes, conventions graphiques, sont la matérialisation d’une réflexion symbolique étonnamment complexe, qui, si elle laisse une part à la liberté créatrice ne laisse que peu de place au hasard.

Sous cet aspect, l’ensemble des cupules cévenoles a une solide cohérence.

L’Art des cupules

Il se confirme que « l’Art des cupules » est ici bien plus fondamentalement une « Science des cupules ».

Factures et formes des gravures, nature des assemblages sont des données fondamentales mais ne sont pas les seules pertinentes. Le support, la localisation des sites, l’association avec d’autres types de signes en sont d’autres tout aussi importantes, et c’est l’ensemble de ces caractéristiques qui permet de définir un ensemble et de le comparer utilement avec d’autres.

La forme traduit la pensée et si les formes diffèrent c’est que la fonction n’est pas la même. Sous l’appellation « cupules » sont mêlées des réalités socio culturelles bien différentes.

La recherche bibliographique montre par exemple et pour ce qui concerne des régions proches, une certaine disparité de style parmi les cupules alpines (Valais, Maurienne, Tarentaise, Piémont italien) qui contraste avec la cohérence que nous observons ici.

Une première démarcation fondamentale doit être tracée entre assemblages par agglutination aléatoire et assemblages intentionnels dont les cupules cévenoles sont un des exemples parmi les plus raisonnées. Le relevé et l’étude des gravures de la Crête des Barmes à St Léonard dans le Valais (Suisse) effectués par P. Corboud montrent un exemple caractéristique d’assemblage de cupules par agglutination.

Par comparaison minutieuse de patine et étude de superposition entre les différents types de gravures présents sur cette vaste roche, P. Corboud attribue ces cupules au Néolithique ancien ou moyen soit 5000 et 3600 ans av. J.C.

Malheureusement cette chronologie ne peut être utilisée pour une datation des cupules cévenoles qui, étant d’un tout autre type, n’ont pas la même fonction et relèvent par conséquent d’un tout autre contexte socio culturel.

C’est en Italie, dans le Val de Suze notamment, que nous trouvons plusieurs exemples de roches gravées dont certaines présentent des figures assez semblables à celles des Cévennes. La documentation à notre disposition ne permet pas d’en évaluer le nombre mais il ne semble pas équivalent à celui des roches gravées cévenoles.

De plus, il est à remarquer que ces gravures sont de plusieurs types et qu’il y a eu visiblement une évolution ou plutôt probablement plusieurs périodes d’éxécu-tion dans cette région riche en pétroglyphes divers.

La roche de Menolzio est un autre exemple caractéristique d’agglutination sans ordre tandis que la roche du Cro da Lairi (le « Creux des Voleurs ») évoque, avec bien plus de cupules (67), la roche du Collet de Dèze 309 et son réseau ruisselant, « hydrographique » comme disent les italiens.

La pierre de Monsagnasco est de type intermédiaire, nous y retrouvons couples (reliés ou non) et triades, un semis de points désordonné ou des alignements approximatifs de cupules rapprochées.

Ces alignements absents en Cévennes, tout comme les semis de points, semblent aussi caractéristiques d’un autre ensemble de cupules à Rocce Ré près de Cuneo, toujours en Italie.

Comme en témoigne une synthèse très complète sur les cupules en Europe de J-M Couderc, publiée en 2016 par l’Académie de Touraine et où les cupules cévenoles sont à peine évoquées, la richesse et la densité de l’ensemble que nous étudions sont pratiquement méconnues.

Attentive au lien entre cupules et mégalithisme, ce qui permet parfois de proposer quelques datations, cette é-tude évoque plusieurs grands ensembles de gravures rupestres où les cupules sont utilisées, seules ou en associations avec d’autres signes, mais ignore le foyer cévenol.

Pourtant, avec la présente étude ce sont près de 850 fiches de sites qui auront été maintenant transmises au SRA de Montpellier et un nombre à peu près équivalent de sites relevés au cours de nos recherches sont encore en attente de publication.

Il s’agit donc d’ors et déjà d’un des ensembles de gravures rupestres parmi les plus denses de France et d’Europe.

Cet ensemble rupestre cultuel composé presque exclusivement de cupules (isolées, par 2, par 3 ou en nombre rarement supérieur à 50, parfois reliées par des sillons) a ici essentiellement pour support des roches en place de surface subhorizontale sur lesquelles la disposition spatiale des signes apparaît raisonnée et ordonnée, en géométrie et selon la forme de la surface.

Ceci le distingue de l’ensemble des cupules gravées sur des stèles ou des mégalithes où la part de dalles en réemploi est d’ailleurs difficile à évaluer.

Les cupules y sont souvent peu nombreuses ou disposées en agglutinations aléatoires. Elles y forment ou participent à des motifs ornementaux et accompagnent d’autres signes divers.

La disposition par agglutination est aussi la plus courante sur les pierres en place, par exemple sur les roches des ensembles riches et bien documentés des Alpes (Tarentaise Maurienne) où elles sont aussi parfois associées à de très nombreux pédiformes gravés par paires et datés du Néolithique ou du Bronze ancien.

Nous retrouvons les pédiformes dans le Haut Languedoc, massif du Caroux. Dans cette région contrairement aux Cévennes, cupules, anthropomorphes cruciformes et pédiformes se côtoient. De même que dans les Alpes, les pédiformes se présentent la plupart du temps par paires et peuvent être extrêmement abondants sur certaines pierres, comme au Roc des Baumes à Rosis.

Pour cet exemple, il est à remarquer la position marginale des cupules sur une dalle en contrebas (en E sur le plan). Cette position « discrète » est fréquente en Cévennes, elle ne signifie pas forcément que les cupules auraient été exécutées postérieurement aux pédiformes occupant le sommet du groupe rocheux.

En Cévennes, les pédiformes sont rares et jamais associés en paires parallèles. La plupart des signes qui y sont désignés par les auteurs sous le terme de « pédiformes » sont d’ailleurs soit des cupules allongées, ovales ou irrégulières, ou assemblées en couples asymétriques reliés par un sillon plus ou moins large.

Les figures de cupules formées sur le Caroux et aux environs n’apparaissent pas ordonnées de la même manière qu’en Cévennes, bien que comprenant souvent des couples reliés en haltère et des sillons.

Il ne semble pas y avoir de grands réseaux ruisselants.

L’ensemble cévenol ne semble donc pas avoir d’équivalent exact ni en nombre, ni en aspect, ni par l’association avec d’autres signes.

Malgré certaines parentés, la plupart dans les contextes les plus anciens, c’est un art original, complexe et singulier, difficilement rattachable à d’autres ensembles, y compris en élargissant la recherche à ‘Europe.

Or, nous constatons ailleurs, dans les régions alpines notamment, le voisinage, la succession et souvent la superposition de plusieurs complexes rupestres avec leurs thèmes graphiques spécifiques, en Cévennes les pétroglyphes sont à plus de 95% des cupules uniquement.

Présentes sur un nom-bre très important de sites, elles y sont de plus assemblées d’une manière ordonnée, type particulier qui ne se retrouve que sporadiquement ailleurs.

Il y a donc lieu à penser que nous sommes ici en présence d’un foyer, d’une évolution et d’un développement local. Cet art rupestre n’a été ni précédé, ni suivi sur les mêmes lieux d’autres complexes pétrographiques d’importance comparable.

Les datations des cupules, dans des contextes divers, s’étalent du Paléolithique moyen (Moustérien) à l’Âge du fer. Il s’agit sans conteste d’un mode d’expression universel de l’humanité, avant même qu’elle soit pleinement l’Humanité.

Dater le foyer cévenol et l’attribuer à une Culture précise sera particulièrement difficile. Nous ne disposons que de rares indices peu probants de voisinage ou de superposition avec d’autres pétroglyphes dont la datation est elle-même imprécise et en discussion.

Par ailleurs, extrapoler sur des ressemblances avec d’autres lointains ensembles de cupules, comme les exemples italiens, ne fournit que des éléments de comparaison, mais n’apporte aucune certitude pour proposer des dates, tant il apparaît qu’à un moment ou à un autre, dans ce vaste intervalle de temps, en toutes régions, des hommes ont pu en faire là ou cela leur était possible.

Assurément, les innombrables rochers des serres cévenols, lourds blocs tabulaires, belles et vastes dalles, ont été comme autant de pages vierges offertes à l‘inspiration des hommes.

———————–

Groupe Alésien de Recherches Archéologiques
Musée du Colombier, rue Jean Mayodon, 30100 ALES
Tél: 07 81 55 33 82
contact@gara.fr
http://www.gara.fr

Publication : 12 février 2025